Le travail d’Isabelle est une célébration de l’impermanence, de l’imperfection et de l’incomplétude.
A l’instar du wabi-sabi l'artiste rappelle que la beauté réside dans le voyage et non dans la destination.
BIOGRAPHIE
Formée en histoire de l’art et en théologie, j’ai toujours eu une approche contemplative du monde. Dès mon enfance, j’ai été initiée à l’observation minutieuse de la nature et de l’art.
Ce regard attentif m’a appris à capter les détails, à ressentir l’équilibre des formes et des matières. Il a éveillé ma capacité d’émerveillement, me permettant d’éprouver une émotion intime, de me laisser envahir par un sentiment de joie, et d’imaginer qu’au-delà de toutes ces beautés palpables, il existe quelque chose de plus grand qui parle, capable de toucher mon cœur et de me transmettre un message.
Si mes études d’histoire de l’art m’ont fourni un canevas de références et des critères rigoureux pour orienter ma réflexion, celles en Théologie des Arts m’ont libérée d’un certain carcan, permettant à mon regard de devenir plus personnel et de me laisser toucher par le sensible. Ce regard renouvelé, fruit de l’union entre connaissance et expérience, m’a donné l’audace d’utiliser un langage autre que celui des mots pour m’exprimer à travers la terre.
De nature sportive et efficace, la pratique de l’art ne m’apparaissait pas comme une option : je pensais ne posséder aucun talent. Pourtant, un jour, une phrase a résonné en moi comme un déclic : « Chaque être humain possède un talent artistique. Il te faut découvrir le tien, l’exploiter et le cultiver. Cela t’aidera à te réaliser pleinement et t’apportera une joie immense. »
La céramique est devenue ce point de convergence, cet espace où se rejoignent toutes les facettes de mon parcours : l’observation patiente, l’engagement physique, la recherche spirituelle et l’expression de l’imaginaire. À travers le grès et la faïence, j’explore le dialogue entre la matière et le temps, entre l’accident et la réparation, entre la mémoire et la transformation.
Mes œuvres circulaires, souvent marquées de fissures, racontent cette évolution. Chaque craquelure devient une empreinte du processus, une métaphore du cheminement intérieur. Plutôt que de masquer ces marques, je choisis de les révéler : l’or, le miroir, le verre ou le zinc viennent souligner la beauté du fragmenté, l’accident devient une révélation.
À travers ces fissures, je cherche à exprimer l’idée que nos imperfections, loin d’être des faiblesses, sont au contraire des forces qui nous façonnent et nous transforment. Elles portent l’histoire de ce qui a été, de ce qui a été traversé, de ce qui a été réparé et réinventé. La céramique, dans sa beauté fragmentée, devient pour moi un moyen d’exprimer ce dialogue entre l’imperfection et la perfection, entre la fragilité et la résistance.
Ainsi, chaque pièce est un acte de création qui, tout en cherchant à atteindre une certaine harmonie, accepte et célèbre le processus de transformation. La matière, en constante évolution, devient le miroir de notre propre quête intérieure : un voyage où chaque étape, chaque rupture, chaque réparation, a sa place dans la construction de soi.
DÉMARCHES ARTISTIQUES
Philosophie
Si je travaille plusieurs formes, mon univers privilégie le cercle et l'infinité de ses combinaisons.
A la croisée du vide et de la matière, des couleurs et des textures, je trouve mon inspiration dans le monde qui m’entoure. La nature, l’art, la littérature, les évènements de la vie, les atmosphères et les vibrations de chaque instant me touchent, éveillent et nourrissent ma réflexion.
Le cercle, à la fois unifiant et expansif, s’ancre à un centre tout en s'étendant sans fin. Son pivot central lui confère une stabilité solide, tout en permettant une croissance infinie. Sa ceinture, telle une frontière protectrice, maintient l’harmonie et prévient la fragmentation.
En explorant cette forme, je cherche à cristalliser mon regard sur la vie, à revenir sans cesse au centre de ce qui m’anime pour mieux m’élancer vers l’infini.
Si le cercle présente une dualité, il offre également une richesse d’invisible, au-delà de ce qui se manifeste. Il m’invite à la contemplation, à ce moment de progression où l’être rejoint son centre à partir duquel il peut agir, libéré de l’agitation qui le pousse à l’extérieur de lui-même. Cette contemplation me convoque au cœur de ce qui nous constitue, à cette lumière qui unifie le rapport entre l’apparaitre et l’être et dans laquelle je puise ma force, mon authenticité et ma créativité.
Contempler le cercle, c’est aussi une quête intérieure d’harmonie et de plénitude sur le chemin de la vie. C’est relier l’origine à la fin, la matière à l’esprit, le fini à l’infini, en transcendant les frontières terrestres.
Comme au plus profond de nous-mêmes, c’est au centre du cercle que tout se joue : l'ancrage et la mise en mouvement. Il me semble que l’Homme et le cercle se répondent dans leurs formes et leurs symboles.
Dans ma démarche artistique, le cercle ouvre un dialogue constant entre l’œuvre et moi. Il est à la fois un vide à remplir, une œuvre en devenir, un mouvement qui se propage et se diffuse. Il me donne accès à des ressources insoupçonnées d’imagination, de créativité et d’intériorité.
La terre, quant à elle, est à la fois un mystère et une source d’inspiration infinie. Elle m’interroge, m’intimide, m’inspire et me guide. Je ne cherche pas à la contrôler, mais plutôt à la rencontrer à chaque étape. C’est une relation vivante, vibratoire, qui réagit à chaque geste, chaque appel, comme une réponse en devenir. Ma créativité prend vie dans cet échange mutuel.
À l’image de l’argile entre les mains du potier, je ne me décourage pas lorsque la terre ne répond pas à mes gestes. Je persévère, cherchant à la guider pour qu’elle se révèle dans sa forme idéale. Chaque cercle est unique et crée sa propre histoire, m’invitant à écouter et respecter sa singularité. Mon désir n’est pas de reproduire, mais de répondre avec sensibilité à la matière, permettant à chaque forme se déployer de manière singulière, sans chercher à dupliquer ce qui a déjà été.
Processus de création
Mon travail en céramique est une exploration des multiples facettes des terres : faïence, grès et porcelaine, chacune offrant des possibilités uniques et une texture particulière. À chaque phase de création, la terre, matière vivante et porteuse de mémoire, réagit et se transforme selon son parcours. Une fragilité imperceptible peut alors modifier son apparence, révélant ainsi un objet sous un jour inédit.
Cette métamorphose subtile confère à chaque pièce une dimension singulière, où l’imperfection devient une source de caractère. Chaque variation, chaque nuance, enrichit l’histoire de l’objet, témoignant de la danse entre la matière et le geste. Plutôt que de dissimuler ces traces, je choisis de les sublimer en accentuant certaines brisures pour en révéler la force et la beauté uniques.
À l’instar de l’Homme, la matière porte les marques de son parcours, façonnée par ses expériences. Elle est en constante reconstruction, en perpétuelle évolution. La terre conserve une mémoire invisible, qu'elle nous transmet à chaque cuisson. Qu’elle soit à haute ou basse température, chaque étape modifie sa texture, sa couleur, son éclat. À travers ce processus, je cherche à capturer cette mémoire, à révéler l’histoire inscrite dans chaque pièce, à donner vie à ces réactions et accidents.
Mes œuvres sont le reflet de cette quête : un dialogue entre la matière et le geste, entre la fragilité et la force, entre l’accident et la création.
Techniques
La terre utilisée en céramique se présente sous forme de blocs appelés pains de terre. À l’état humide, elle est malléable et facile à travailler, mais il est crucial d’éviter la formation de bulles d’air qui pourraient altérer la structure de la pièce. La terre, souple grâce à l’eau qu’elle contient, peut être façonnée librement.
En séchant à l’air, elle devient plus rigide et difficile à manipuler, nécessitant parfois d’être humidifiée à nouveau pour assouplir sa texture. Une fois l'objet façonné, l’eau s’évapore lentement, un processus qui doit être régulier et uniforme pour éviter des risques de fissures. Lorsque la pièce atteint une sécheresse suffisante, elle devient fragile et friable, prête pour la première cuisson, appelée cuisson de biscuit.
Ce processus transforme la terre en un biscuit durci mais légèrement poreux, prêt à recevoir les émaux. La porosité permet aux émaux de pénétrer et d’adhérer à la surface.
La deuxième cuisson, après application des émaux, est essentielle pour la finition de la pièce. La température varie selon le type de terre : le grès et la porcelaine nécessitent des températures élevées (environ 1300°C), tandis que la faïence est cuite à des températures plus basses (environ 1080°C). Chaque couche d’émail influence la brillance et les effets visuels de la surface.
Parfois, je choisis d'augmenter la température du four dès la première cuisson pour obtenir des effets de couleur plus intéressants, bien que cela rende l’application d’émail plus délicate. Si le résultat final n’est pas celui attendu, je n’hésite pas à effectuer des cuissons supplémentaires avec de nouvelles couches d’émail.
Chaque passage au four comporte un risque, car il peut révéler des fragilités invisibles et transformer la couleur de la terre, qui peut varier entre le blanc, le rose, le brun ou le noir. Plus la température augmente, plus la couleur évolue, affectant ainsi les pigments et les émaux. L’émaillage devient alors un jeu de nuances subtiles, une interaction imprévisible entre la terre, les émaux et la chaleur.
À chaque phase de création, la terre, matière vivante et porteuse de mémoire, réagit et se transforme selon son parcours.
Entre la terre, les émaux et les températures de cuisson les réactions sont subtiles
Plutôt que de dissimuler ces traces, je choisis de les sublimer en y intégrant parfois des feuilles d’or, des fragments de miroir, de verre ou de zinc.
Plus la température augmente, plus la couleur évolue, affectant ainsi les pigments et les émaux.
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